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Ils viennent d’arriver. Le taxi les a déposés -enfin!- dans la petite rue new yorkaise, devant la maison familière en briques rouges. Lorsqu’ils se sont extirpés de la voiture jaune, la chaleur les a enveloppés d’une humidité, dont ils reconnaissent avec plaisir la caresse moite. Leurs amis sont là, sur les marches du porche, qui les attendent patiemment, comme à chaque fois. Ils retrouvent avec excitation les bruits de cette ville, klaxons incessants, sirènes inquiétantes et rassurantes à la fois, grondement des énormes climatiseurs accrochés sur chaque fenêtre, chaque pan de mur de ce quartier huppé.
La maison où ils s’engouffrent n’est pas très moderne. Elle brinqueballe sous le poids des livres, ses escaliers prennent le temps de monter tranquillement au deuxième étage, ses fenêtres grincent un peu, l’épaisseur de ses vieilles moquettes donne envie de s’y rouler et de rester là, à ne plus rien faire, se contentant d’écouter les conversations. Car les paroles qui peuplent ses murs ne sont pas n’importe quelles paroles. Son maître est écrivain. Assis dans son petit bureau sombre, devant son ordinateur, il n’en bouge pas, ou très peu. Il y lit, il y écrit. C’est un chaleureux, pourtant, un attentif. Passionné par le monde pour lequel il accepte parfois de quitter la rue ombragée.
La cérémonie de la montée des bagages prend un certain temps. Mais ils ne cherchent pas à s’installer, ils saluent rapidement du regard les photos, les affiches, les coussins brodés au nom des enfants partis au loin, et les livres, tous les livres qui habillent les murs. Ils inspirent profondément l’ancienne odeur des chambres, le léger vent que souffle les ventilateurs -les propriétaires n’aiment pas la climatisation, elle déshonore cette vieille bâtisse. Et puis ils cèdent à leur désir : dévaler l’escalier jusqu’en bas, sur la terrasse.
Et c’est là qu’ils se retrouvent. Chez eux. Après la hâte du départ, le taxi, l’attente dans la file à l’aéroport, le vol trop long, les repas convenus, les films inaudibles, les queues interminables de la douane, le taxi, encore, et, le cœur battant, les gratte-ciels qu’ils ont retrouvés, au loin, depuis l’autoroute. Ils prennent place sur les bancs de teck qui bordent le petit espace gagné sur le jardin, surplombant le grand arbre immobile. Ils ne disent plus rien, malgré les enfants qui veulent descendre voir les fleurs. Leurs amis installent les coussins verts, la table chargée de l’apéritif, on attend d’autres invités.
Avec une langueur bienfaisante, ils se laissent aller, ils plongent, ils nagent dans ce bain d’amitié, cette eau tranquille au goût familier, dans le sentiment qui les apaise d’être à nouveau chez eux – bizarre quand ils y pensent, alors qu’ils sont maintenant à des milliers de kilomètres de Paris. Ils savent, bien sûr, que l’îlot du jardin blotti entre les hauts immeubles, ne les protège pas plus de l’immense ville que la palissade de bois gris qui l’enclot. Ils n’oublient pas les dizaines de fenêtres qui les surplombent, d’où peut-être des regards indiscrets les épient. Assoiffés d’ailleurs, ils boivent les bruits divers, ils se nourrissent de ces vies multiples et inconnues dont ils entendent l’écho, de cette sensation d’indifférence qui les rassure.
Leurs enfants semblent heureux, eux aussi. Le rituel des vacances au secret de la ville en mouvement se met en place. D’année en année, revenus de bien des voyages, ils ont laissé un peu d’eux-mêmes dans ce jardin, entre ces murs centenaires. Cet endroit est un port, une boîte à musique qui leur rejoue sans relâche leur passé : petites filles en salopette, bébé aux joues rouges, bagels et saumon, écrivains passionnés, deuil et fraternité. Cette maison est à eux tous. Leurs amis leur en ont donné la clé.